NOUVELLES EROTIQUES Tome 2 (2025)

Toutes les œuvres présentes sur ce site, qu’elles soient écrites ou visuelles, sont protégées par le droit d’auteur. Toute reproduction, diffusion ou utilisation sans autorisation est strictement interdite.

3 - Rencontre Éphémère

 

Je viens souvent m’asseoir ici, sur ce banc usé par le temps, entre les allées bordées de pierres moussues. J’aime cet endroit. Il y règne une paix que je ne trouve nulle part ailleurs. Les couleurs y changent avec les saisons, et chaque nuance semble raconter une histoire différente. Assise là, carnet sur les genoux, je laisse mes crayons figer des instants sur le papier, comme pour suspendre le temps.
Tout est silence ici, ou presque. Le froissement des feuilles mortes sous les pas lents des visiteurs, le chant d’un oiseau isolé, parfois un murmure entre deux silhouettes. La nature semble retenir son souffle, et moi, j’observe. Les passants, les couples qui marchent main dans la main sans se presser, les regards pleins de souvenirs. Il y a une douceur étrange dans ces gestes, comme un respect silencieux pour ce lieu figé hors du monde. C’est une chance, je crois, d’avoir un coin de verdure en plein cœur de la ville. Un lieu où tout semble un peu plus vrai, un peu plus doux.
Et puis, il y a lui. Toujours là, sur le banc en face du mien, à l’ombre d’un grand cyprès. Un livre à la main. Immobile, concentré. Je l’ai dessiné mille fois. Entouré de scènes à peine croyables : une vieille dame posant une fleur à ses pieds en croyant sans doute que c’était un monument ; une mésange audacieuse venue se percher sur son épaule ; ou encore ce jour de grande chaleur où un groupe de personnes âgées s’est assis autour de lui, sans un mot, partageant l’ombre comme une prière muette. Même lorsqu’une jeune fille en jupe légère est passée juste devant lui, il n’a pas levé les yeux. Rien ne semblait pouvoir le détourner de sa lecture.
Tout cela, je l’ai croqué, avec mes crayons, dans l’intimité de mon carnet. Je fige la réalité, les gestes simples, les petits hasards de la vie. Mais je n’ai jamais osé lui parler. Je n’ai même jamais bougé de mon banc. Trop timide, trop enfermée dans mon silence.
J’ai vingt-six ans. Je n’ai jamais eu de petit ami. Je ne sais pas quoi dire. Ma vie n’a rien d’extraordinaire. Je suis juste moi. Discrète. Sincère. Une présence parmi d’autres dans ce lieu où les voix se font rares, mais où tout raconte quelque chose.
Comme chaque mercredi, je m’installe sur mon banc préféré, à l’ombre dense des arbres, là où la lumière filtre en éclats doux à travers le feuillage. De là, j’ai une vue d’ensemble sur ce coin tranquille du parc, ses allées étroites, ses bancs alignés comme des sentinelles.
Mon dessin est presque terminé. Concentrée sur ce couple enlacé, absorbé dans un baiser tendre, je n’entends pas les pas légers s’approcher. Ce n’est que lorsque je sursaute, alertée par une présence toute proche, que je réalise qu’il est là. Lui. Le jeune homme qui, d’habitude, occupe le banc en face du mien.
Sous la surprise, mon carnet m’échappe et tombe au sol. Il se penche pour le ramasser. Ses doigts effleurent une page, s’y attardent. Un sourire naît sur ses lèvres en découvrant l’un de mes croquis. Il feuillette les pages, lentement, attentivement, comme s’il lisait un journal secret. Son visage s’éclaire. Puis il me tend le carnet.
Nos mains se frôlent. Un léger contact, à peine un souffle — mais une étincelle nous traverse, fugace et vive. Par réflexe, nos doigts s’écartent, comme s’ils avaient été brûlés. Et puis, ce rire discret, partagé. Je lève les yeux vers lui. Mon visage rayonne malgré moi. Nos regards se croisent. Il y a des éclats dans ses yeux, comme une lumière intérieure qui vacille doucement. Je sens le rouge me monter aux joues. Son sourire est magnifique.
Troublée, je m’éloigne d’un pas, rassemblant mes affaires dans un silence fébrile. Je reprends doucement le chemin du départ, le cœur battant, les gestes un peu hésitants. Et puis, derrière moi, des pas précipités. Je me retourne.
C’est lui.
Il me tend aussi ma gomme, tombée à ses pieds. Je la saisis du bout des doigts, troublée.
Nos mains se touchent à nouveau. Cette fois, le contact dure un peu plus. Le temps, lui, semble suspendu. Il tient ma main dans la sienne. Un froid inattendu m’envahit. Un frisson me traverse de part en part, subtil mais profond, comme une onde silencieuse. Nos doigts ne bougent plus.
Je lève les yeux vers lui. Son regard est calme, lumineux. Il ne dit rien. Moi non plus. Mais dans ce silence, quelque chose se dit, sans besoin de mots.
Un joggeur surgit soudain, jaillissant de nulle part, son souffle rapide tranchant le silence comme une lame. Il passe à quelques centimètres de nous, frôle nos épaules sans ralentir, emportant avec lui l’équilibre fragile de l’instant.
Je sursaute, prise de frayeur. Mon cœur cogne dans ma poitrine. L’espace d’un instant, je perds tout repère. Dans ma confusion, à mi-chemin entre le choc et l’incrédulité, je maudis ce sportif inattentif.
Et quand je reviens à moi, il. Lui, n’est plus là.
Je reste figée. Le monde semble vaciller autour de moi. Le souffle me manque, mes pensées se brouillent. Je regarde autour de moi, cherchant sa silhouette, en vain. Il est parti. Sans un mot. Sans un regard.
Ai-je rêvé ce moment ? Était-il seulement réel ?
Je reprends ma marche, les jambes fébriles. Mes pas sont lents, hésitants. Je me dirige vers la sortie du parc, le cœur creux, battant dans un silence qui me semble trop grand. Une fois devant le portail, je me retourne.
Il n’est pas là. Il ne m’a pas suivie.
J’aurais voulu qu’il le fasse. Qu’il franchisse la distance, qu’il ose ce que moi je n’ai jamais su faire. Qu’il me retienne. Qu’il m’embrasse peut-être, d’un geste simple, bouleversant. Qu’il me délivre de cette timidité qui m’emprisonne.
Mais non. Rien.
Alors je continue. J’avance, presque sans y penser. Je descends les escaliers menant au métro, comme on s’enfonce doucement sous terre, dans l’ombre et le vacarme. Une fois assise sur la banquette froide, je laisse mes pensées m’engloutir.
Je repense à ces deux instants, brefs mais immenses. Ce frisson entre nos mains. Ce regard suspendu. Ce sourire.
Jamais je n’avais ressenti quelque chose d’aussi pur. D’aussi simple. D’aussi beau.
Ce matin, je me réveille en douceur. La lumière glisse à travers les rideaux, paisible. J’ai fait la grasse matinée. Chose rare pour moi. Mes rêves, pourtant, ont été agités. Il était là. Encore. Son visage, ses gestes, cette sensation suspendue entre nous.
Je ne sais pas comment réagir à tout ça. Mais mon corps, lui, semble savoir. Je me sens légère, comme une plume portée par une brise douce.
Aujourd’hui encore, mes pas me mènent naturellement vers le parc. Je sais qu’il y sera. Je franchis le portail. Il y a un peu de monde. La chaleur n’a pas encore atteint son apogée, et la lumière du matin à cette clarté particulière, presque magique. Les ombres sont longues, les couleurs plus tendres.
Son banc est vide.
Étrange. D’habitude, il est là avant moi. À sa place.
Je détourne les yeux, et c’est alors que je le remarque : sur mon banc, un petit pot de fleurs.
Une seule fleur, fanée juste ce qu’il faut. Une de ces fleurs que l’on trouve souvent dans les allées tranquilles du parc. Elle n’est pas fraîche, ni vibrante, mais elle a cette beauté triste des choses qui ont traversé le temps.
À côté, un mot, plié avec soin. Mon prénom est écrit dessus, dans une belle écriture, fine et penchée.
Mon Dieu.
Un admirateur ? Un inconnu ? Mon cœur s’emballe. Peut-être un fou, un déséquilibré. Je dois rester prudente. Mais mes mains tremblent un peu lorsque je déplie le papier.
Quelques mots, en rime :
« L’étincelle a activé la face cachée de mon cœur. »
Un sourire glisse sur mes lèvres, malgré moi. Ces mots… Ces mots ne peuvent venir que de lui. Il n’y a qu’avec lui que j’ai ressenti cette étincelle. Mais comment connaît-il mon prénom ? Était-ce écrit quelque part ? Ou m’a-t-il simplement observée, devinée ?
Je m’assois lentement à côté du pot de fleurs, troublée. Je laisse mon regard s’égarer vers l’horizon. L’air est doux. Son banc, en face, est toujours vide.
Puis, sans bruit, quelqu’un s’assoit à mes côtés. Je tourne légèrement la tête.
Et une voix calme, douce, sincère me dit :
— « Bonjour. »
Mon visage s’enflamme. Je souris. C’est lui.
Un frisson me traverse. Mon cœur palpite, irrégulier. Tout paraît irréel. Ses lèvres ne bougent pas. Pourtant, je l’entends. Il me parle.
Mais comment ? Je ne sais pas. Peut-être avec les yeux. Avec ce regard calme, chargé d’une intensité muette. Peut-être que les mots ne passent plus par la bouche, mais par quelque chose d’autre, de plus profond.
Je suis figée, prise dans un état second, comme hors de moi. Le monde autour s'efface, ne reste que lui. Il me faut quelques secondes pour revenir à moi, recoller mes pensées, retrouver le fil. Je le regarde, troublée, et murmure :
— « Vous… vous pouvez répéter ? »
Et alors, quelque chose. Un souffle. Mais pas un son, pas vraiment. Plutôt une vibration. Une onde minuscule, presque imperceptible. Pas une voix dans l’air — une voix dans ma tête.
Comme un battement. Comme un secret transmis par une fréquence que seuls nos cœurs pourraient capter. Une télépathie douce. Une onde venue d’ailleurs.
— « Vous êtes très belle aujourd’hui. »
Les mots résonnent en moi. Ils m’atteignent, me touchent. Mon cœur bondit, puis s’affole, comme s’il avait compris avant moi.
Je balbutie, prise entre la panique et l’émotion :
— « Vous… aussi. »
Et dans le silence qui suit, quelque chose s’accorde. Une évidence. Une connexion qui défie les mots. C’est faible, c’est flou, mais c’est sincère.
Nos regards se croisent, et dans ce silence chargé, c’est comme si tout venait d’être dit.
Il rougit, puis plonge son regard dans le mien. Un regard si profond, si dense, que je ne peux plus m’en détacher. Il m’absorbe. M’enveloppe. Et c’est là que je le remarque : il tient ma main.
Douceur inattendue. Froide mais rassurante. Cette simple étreinte m’enchante, m’ancre dans le moment.
Il s’approche, lentement. Je sens l’angoisse monter, ce vertige délicieux entre peur et désir. Mon cœur bat à tout rompre, tambour effréné dans ma poitrine. Je ne le quitte pas des yeux.
Son visage se rapproche du mien. Sa bouche effleure la mienne. Il m’embrasse.
Notre premier baiser.
Et tout explose.
Une cascade de sensations envahit ma bouche, ma peau, mon corps entier. Lorsque nos langues se frôlent, je me laisse aller, entièrement. Je suis à sa merci, offerte, flottante.
Il glisse une main autour de ma nuque, rapproche nos visages. Ses doigts se perdent dans mes cheveux, les effleurent avec une tendresse presque irréelle. Un frisson d’extase me parcourt la colonne vertébrale, me fait frémir.
Je suis sur un nuage. Suspendue au ciel.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, les yeux fermés, le souffle court. Quand je les rouvre, il n’est plus là.
Disparu.
Je reste figée, comme ancrée dans un souvenir qui vient à peine de se former. Je regarde autour de moi, hébétée. Il s’est éclipsé. Sans bruit. Sans trace.
Pourquoi ?
Le soir, en me couchant, je repense à sa main, à la fraicheur de son contact, à ce baiser qui m’a rendue légère, comme portée hors du monde.
J’en frissonne encore. Et plus que cela. Comment dire…
Les images reviennent, encore et encore, comme un souffle persistant dans ma mémoire. Son regard, ses lèvres, cette électricité entre nous... Mon corps s’en souvient.
Une chaleur douce m’envahit, s’étend, m’éveille à moi-même. Je ferme les yeux. Mon souffle est plus profond. Mon cœur bat doucement. Je découvre en moi une sensation nouvelle, troublante, belle — celle du désir éveillé par une simple pensée.
Je m’endors ainsi, bercée par cette douce torpeur, les rêves teintés de lumière et d’ombre.
Jamais encore je n’avais ressenti cela.
Enfin, j’ai pu me libérer. Me rendre au parc. L’air est doux, le ciel clair, et la journée s’annonce belle — promesse silencieuse du printemps.
Je ne l’ai pas revu depuis. Depuis ce baiser qui m’a bouleversée. Ce moment suspendu, presque irréel. Mon cœur bat un peu plus fort à mesure que j’approche. J’espère. J’imagine. J’attends.
Mais non. Personne.
Pas de fleurs. Pas de mot. Pas de présence sur son banc. Pas même une trace de lui.
Je m’assois malgré tout. Je sors mon carnet. Me perds dans les lignes, les formes, le trait qui cherche à capturer le temps pour mieux l’oublier.
Et soudain… une main.
Une main douce, froide, qui se pose sur ma nuque. Mon corps se fige. Mon souffle se suspend.
Puis un baiser, léger, dans le creux de mon cou.
Un frisson me traverse, profond. Et les effluves de son parfum me parviennent, me caressent, m’envahissent. Il est là.
C’est lui.
Il s’approche de mon oreille. Sa voix est un murmure, un souffle intime, presque un secret :
— « Bonjour, ma belle. »
Une vague de chaleur me remonte lentement du ventre, profonde, silencieuse. Il effleure mon oreille, puis aspire doucement mon lobe entre ses lèvres. Un frisson électrique traverse tout mon corps, comme un courant d’émotion pure.
Il m’embrasse.
Un baiser profond, enivrant. Je perds pied. Mon souffle s’éparpille. Mes sens chavirent. Je suis à nouveau transportée dans ce monde étrange et merveilleux, où seul son contact existe — ce royaume d’extase suspendue.
Je sens un ruissellement discret glisser le long de ma peau. D’abord, je crois que c’est de la chaleur, de la sueur. Mais non. C’est autre chose. Plus intime. Plus profond. Mon corps réagit. Encore. Juste à sa présence. Juste à son souffle.
Si seulement il savait ce qu’il me fait.
J’ouvre les yeux. Ses mains ne tiennent plus les miennes. Ses lèvres ne sont plus là. Le vide m’enveloppe à nouveau. Je me retourne, brusquement. Il a disparu.
Vraiment disparu.
Où est-il passé ? Était-il seulement là ?
Ce mystère m’inquiète... mais il m’attire aussi. Il m’obsède. Il m’excite.
À chaque fois, il disparaît.
Et moi, quelle idée de fermer les yeux. De me laisser emporter. De lâcher prise, même pour quelques secondes.
Je perds mes repères. Je me noie dans la sensation. Et quand je reviens à moi… il n’est plus là.
Il faut que je me concentre. Que je garde les yeux ouverts, l’esprit ancré. Rester connectée au réel. Ne pas me laisser happer par ce vertige. Pas la prochaine fois, je serai prête.
Du moins, je l’espère. J’espère qu’il reviendra.
Ce matin, j’attends l’ouverture du parc. L’air est frais, le ciel encore pâle. C’est un lieu calme, presque oublié du monde. Peu de gens viennent troubler ce silence sacré.
Moi, j’aime cet endroit. Il nourrit mon imaginaire. Ce silence me parle, m’inspire. Et surtout, j’aime dessiner ce majestueux chêne centenaire, dressé au-dessus du banc où s’installe parfois mon étrange flirt.
Je suis sur mes gardes. J’observe. J’attends. Mais les minutes s’égrènent sans que rien ne vienne troubler la quiétude du matin. Alors je laisse courir mon crayon sur le papier. Juste quelques traits. Un gribouillis.
Puis une odeur. Un parfum. Léger mais distinct. Inimitable.
C’est lui.
Je le reconnais avant même de le voir. Il approche sans bruit, s’assoit tout contre moi. Très proche. Son bras passe autour de mes épaules avec une évidence désarmante. Il se colle à moi. Comme s’il avait toujours été là.
Je frémis. Une onde douce remonte le long de ma colonne. Son bras glisse, se glisse. Ses doigts effleurent mes hanches à travers le tissu fin de ma robe. Un frisson. Une caresse légère, presque irréelle, qui fait vibrer tout mon corps.
Mon cœur s’accélère. J’ai l’impression de suffoquer, comme si mon corps tout entier était trop à l’étroit. Ma peau tendue, hypersensible. Même mes vêtements me semblent soudain gênants, serrés, presque douloureux.
Je penche la tête vers lui. Il me regarde. Ses yeux me tiennent. Je ferme les miens.
Ses lèvres rencontrent les miennes, et c’est comme si tout s’effaçait.
Je perds la notion du temps. Une chaleur m’envahit, enveloppe tout. Sa main glisse sur ma robe, déclenchant une vague de sensations nouvelles. Ma poitrine se soulève, comme si elle cherchait à se libérer. Tout mon être se tend, se déploie.
Mais soudain, je suffoque. Une panique sourde me saisit. C’est trop. Trop vite, trop fort. Je me lève d’un bond, le souffle court, le cœur affolé. Mon visage en feu, je cache mes joues rouges dans mes mains.
Je tente de retrouver mon calme. L’air. Respirer.
Je me retourne. Je veux m’excuser, dire quelque chose. Mais il n’est plus là.
Rien. Pas même une ombre.
Je ne comprends pas. Comment peut-il disparaître aussi vite ? Comme s’il glissait entre les secondes.
Je me rassois sur le banc, troublée, le regard perdu dans le calme du parc. J’attends, encore un peu. Rien.
Alors je ressors mon carnet. Je reprends un ancien croquis, laisse mon crayon glisser, ajouter des ombres, des touches de couleur. Me concentrer. M’échapper.
Puis, soudain… une main.
Elle glisse doucement de ma nuque à mon cou, en un frisson familier. Et son parfum. Ce parfum inoubliable. Il est là. De nouveau.
Je ferme les yeux pour m’imprégner de sa présence. Ne pas parler. Ne pas bouger. Juste sentir.
Ses gestes sont lents, précis. Sa main s’insinue sous le tissu léger de ma robe. Sa paume effleure ma peau nue, cherche la courbe de mon corps avec une tendresse troublante. Je retiens mon souffle.
Je ressens chaque mouvement, chaque caresse à travers le tissu si fin de mon sous-vêtement. Ma poitrine réagit sous ses gestes, comme si chaque contact rallumait une braise enfouie. Mes pensées s’effacent. Je ne suis plus que sensations.
Je suis ailleurs. À sa merci.
Je m’abandonne, le cœur battant, la peau brûlante, les yeux clos. Et soudain — une voix, sèche, concrète, tranche dans l’air comme un coup de ciseaux :
— « Madame ?... Ça va ? Vous allez bien ? »
Je rouvre les yeux, brusquement.
Le parc. La lumière du matin. Le banc.
Mais lui… plus là. Encore une fois.
Je sursaute.
Comme arrachée à un rêve.
Je me lève d’un bond, encore engourdie de sensations, le souffle court, le cœur déboussolé. Je regarde autour de moi, les yeux grands ouverts.
Je suis seule. Seule sur le banc.
Personne derrière moi. Personne à mes côtés.
La voix qui m’a sortie de ma transe appartient à une vieille dame, une promeneuse au pas lent, aux cheveux blancs relevés sous un foulard. Elle me dévisage avec inquiétude.
— « Vous allez bien, mademoiselle ? J’ai cru que vous faisiez un malaise… »
Je bredouille quelque chose. Un hochement de tête. Un faux sourire.
Mais la vérité, c’est que j’étais ailleurs. Bien ailleurs.
J’étais… en train de prendre du plaisir. Là, sur ce banc. Seule. Mais pas seule.
Et lui ? Mon flirt insaisissable. Mon apparition.
Où est-il passé ?
Encore une fois… il s’est évaporé.
Je regarde autour de moi, encore sous le choc.
Je m’engage dans le sentier de droite. Rien. Quelques bancs vides, des allées silencieuses. J’essaie à gauche. Même vide, même silence. Mon cœur bat fort, une angoisse étrange monte en moi.
Cette partie du parc est plus ancienne. Les pierres, noircies par le temps, sont fissurées, inclinées, rongées par la mousse. Les arbres y jettent des ombres plus épaisses, comme si le soleil hésitait à entrer.
Je m’avance, lentement, sur une parcelle oubliée.
Et là, une image m’arrête.
Une photo ovale, encadrée de fer forgé, accrochée à une vieille tombe. Je m’approche, attirée malgré moi. Mon souffle se suspend.
Mon Dieu. C’est lui. Mon flirt.
Son visage, figé sur le portrait ancien, me regarde avec la même douceur silencieuse. C’est bien lui. La même courbe des lèvres, les mêmes yeux profonds. Je baisse les yeux.
Paul.
Né le 12 juin 1860.
Mort le 3 février 1888.
Il avait 28 ans. Presque mon âge.
Je reste figée devant la stèle. Le vent se lève doucement, fait danser les feuilles mortes autour de moi. Un frisson me traverse, profond.
Tout ce que j’ai vécu avec lui… Était-ce réel ? Ou ai-je été l’objet d’un rêve ancien, traversée par une mémoire qui n’était pas la mienne ?
Je reste devant la tombe, le cœur serré, la gorge nouée.
Je lis encore une fois les dates, le nom. Paul. Mort en 1895. Plus d’un siècle nous sépare. Et pourtant… c’est bien lui. Je le reconnais.
Mais non. Non. Je refuse d’y croire.
Il ne peut pas être un fantôme.
Je l’ai senti. Je l’ai vécu.

Ses baisers, sa main posée sur la mienne, son corps contre le mien. Ses caresses… Mon corps s’en souvient encore. Ce n’était pas un rêve, ni une hallucination. Ce que j’ai ressenti, ce trouble, cette extase, ne peuvent pas être des inventions de mon esprit.
Alors quoi ?
Je recule d’un pas. Le sol semble un peu moins stable sous mes pieds. Une part de moi cherche des explications, rationnelles, concrètes. Une autre… une autre s’abandonne à l’idée qu’il existe des choses qu’on ne peut pas expliquer.
Je ne peux pas effacer ce que mon corps a éprouvé. Ce que mon cœur a reconnu.
Non, il ne peut pas être mort. Pas vraiment.

 

Rencontre Éphémère, JeanLouis M, nouvelle érotique, parc rencontre désir, frôlement et désir, écriture érotique française, récits sensuels adultes, désir silencieux, roman érotique contemporain, recueil nouvelles érotiques Tome 2

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.