NOUVELLES EROTIQUES Tome 2 (2025)

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4 - Amitié, version désir

 

Je ne suis pas un inventeur. Ni un ingénieur. Encore moins un artiste. Je suis un assembleur de restes, un récupérateur d’oubli. Un alchimiste du déchet numérique.
Je revendique mon identité jusque dans mes fringues. T-shirt frappé d’un vieux logo pixelisé, baskets râpées, jeans effilochés, coutures fendues par les années. Ma tignasse du matin en pétard renforce cette impression de geek, accentue ce côté savant fou. Mes mains plongent partout. Sous les décombres des objets encombrants, dans les entrailles des déchèteries, à la recherche de la pièce manquante : circuits, cartes-mères, câbles abandonnés. Je récupère aussi les dons de mes amis, de mes connaissances, tous ceux qui laissent derrière eux leur matériel informatique, électronique, hi-fi, vidé de toute vie. Parfois, je tombe sur des pépites que j’entasse sans réfléchir. Ma chambre se transforme en antre, en sanctuaire de technologie orpheline.
Tout un pan de mur s’est mué en atelier. Des étagères bancales ploient sous le poids de composants étiquetés à la main, rangés sans logique apparente, mais que seul moi comprends. Des bras articulés pendent comme des membres endormis. Des tiroirs débordent de vis, de capteurs. Des câbles s'enroulent autour des pieds de table, serpentent jusqu’à des alimentations bricolées, alimentant un chaos parfaitement contrôlé.
Une grande table de travail en bois brut, brûlé par les soudures, piquée de marques noires. Au-dessus, une lampe flexible jette une lumière blanche, presque crue, sur les entrailles ouvertes de mes projets. Un écran clignote dans un coin, interface primaire connectée à un réseau de microcontrôleurs.
L’air sent l’ozone, parfois le plastique fondu. Des bips légers percent le silence, rythmés par les battements discrets des ventilateurs. Les diodes s’allument par pulsations. Chaque outil a son histoire, chaque pièce, une seconde chance.
Dans tout ce chantier, il me manque une chose. Une copine. Une amoureuse. Une présence chaude, charnelle, contre laquelle je pourrais me perdre sans retenue.
J’ai une amie, une femme que j’adore. On parle sans filtre. Corps, pulsions, souvenirs... rien n’est interdit. Elle me confie ses envies, ses blessures, ses ruptures. Moi, je l’écoute, toujours. Je suis son refuge, son confident silencieux. Celui chez qui elle dépose sa fatigue, ses doutes, ses peines d’amour. Celui sur qui elle s’appuie quand un autre la lâche.
Moi, je ne dirais pas non. J’y pense, souvent. À son corps. À sa bouche. À ses gestes qui frôlent sans toucher. À cette chaleur qu’elle laisse quand elle part. Pourtant, pour elle, c’est clair. Je suis l’ami. L’oreille. L’épaule. Rien de plus.
Alors j’ai accepté.
Mais elle hante mes nuits. Elle rôde dans mes fantasmes. Le sait-elle ? En a-t-elle le moindre soupçon ? Je n’en sais rien. Et je préfère ne pas poser la question.
Alors, une idée me pénètre, m’envahit, ne me lâche plus. Mon besoin gronde, brut, enraciné, sans échappatoire. Mon corps réclame une réponse. Une présence.
Je vais créer une femme. Pas une image, pas un fantasme figé. Une vraie. Une androïde. Une compagne née de mes mains, de ma sueur, de mes pulsions les plus profondes. Une œuvre vivante, sensuelle, entièrement façonnée par mon désir.
Je scrute les recoins numériques du net, à la recherche de tous les projets. Beaucoup ont créé des morceaux : un bras, une jambe, un buste... Mais aucun n’est allé jusqu’au bout. Personne n’a assemblé un corps entier, fonctionnel. Je vais être le premier.
Je récupère des plans et des schémas open source. Je lance les impressions, mes imprimantes 3D ronronnent dans un coin de l’atelier. Quinze jours sans relâche. Elle tourne jour et nuit, inlassable. Moi, je fouine dans les objets encombrants, les décharges. J’amasse moteurs, engrenages, circuits, connecteurs. J’accélère le rythme. Je troque, j’échange et je récupère des pièces déjà conçues, déjà testées. Chaque minute gagnée me rapproche d’elle.
Les pièces s’accumulent. Des fragments inertes, posés les uns contre les autres sur la table d’assemblage. Pourtant, dans mon esprit, elle respire déjà.
Mon établi ne suffit plus. Trop étroit, trop encombré. Alors j’ai posé une planche sur mon grand lit. C’est là que je l’assemble, pièce par pièce, et que je dors à côté d’elle. Mais dans ma tête, elle respire déjà. Et sous mes draps, l’attente se tend, dure, obsédante, en rêvant du moment où elle prendra soin de mes nuits. Mais avant ça, il faut qu’elle soit entière. Assemblée. Fonctionnelle. Prête à répondre, prête à vivre.
Je commence par le bassin. La base. Le centre. Chaque pièce s’ajuste au millimètre, chaque joint glisse dans son logement comme une caresse maîtrisée. Je visse lentement, les doigts crispés par l’excitation. Le métal vibre sous ma peau, presque vivant.
Viennent les jambes. Allure élancée, structure légère, articulations silencieuses. Les moteurs se logent dans les cuisses, dissimulés dans la courbe. Je tends les câbles, j’aligne les axes. Quand je soulève la première jambe pour la fixer, j’ai l’impression que le mécanisme entier retient son souffle, prêt à s’animer.
Le torse suit. Sous mes paumes, elle se construit. Je ressens chaque angle, chaque courbe comme une réponse à mes propres manques.
Je fixe les bras. L’épaule s’imbrique avec une fluidité troublante. Les doigts s’articulent avec souplesse, presque gracieux. Les câbles nerveux s’enfoncent dans l’avant-bras, s’enroulent le long des tendons synthétiques. Sa main repose dans la mienne, vide encore, mais pleine de promesses.
Enfin, la tête. Le plus délicat. Je choisis un visage doux, modelé à partir de plusieurs photos. Les paupières fermées, elle dort encore. Les lèvres, réduites à de simples articulations, silencieuses. Je relie les derniers connecteurs, ajuste le cou, verrouille la nuque d’un geste lent, presque solennel.
Elle est là. Étendue, squelettique, inerte. Mon œuvre. Mon besoin matérialisé. Elle attend que je la réveille.
Chaque soir, après le travail, je programme. J’ajuste la mécanique de ses mouvements. Le squelette s’anime, lentement, morceau par morceau. Elle s’assoit sur le lit. Première étape. Simple. Mais capitale.
Elle pivote. Se lève. Deuxième étape. L’équilibre, la posture, la maîtrise du poids. Puis elle marche. Quelques pas hésitants, saccadés. Après de longs réglages, des nuits à corriger chaque ligne, chaque tension, ses pas deviennent fluides. Le métal suit le rythme. Les moteurs obéissent. Le code répond sans délai.
Et, moi, je suis resté figé, sans pouvoir respirer. Quelque chose me chauffe de l’intérieur en la voyant bouger. Une silhouette de métal, articulée avec grâce, troublante. Presque vivante.
Aujourd’hui, c’est un grand jour. Tous les paramètres sont stables. Les moteurs répondent. Les capteurs communiquent.
J’ai intégré de nouveaux algorithmes. Mais surtout, une IA conçue pour les humanoïdes. Un programme open source, développé dans une grande université étrangère. Dès que je l’ai trouvé, je l’ai téléchargé. Adapté. Implanté directement dans son cerveau.
Je réinitialise tout. J’efface les données accumulées jusqu’ici. Je veux qu’elle naisse propre. Claire. Entière.
Puis j’appuie. Le bouton ON. Un simple contact. Une impulsion.
Le nouveau programme démarre.
Elle marche. Droite. Lente. Chaque pas pèse. Précis. Contrôlé. Ses bras tombent le long du corps, rigide, mais équilibré. Elle s’arrête. À un mètre de moi.
Je me tais. Pas d’instruction. Pas de commande. Plus rien ne vient de moi. Seulement le silence. Elle et moi.
Ses capteurs s’activent. Ses yeux s’ouvrent. Deux lentilles noires, lisses, brillantes. Sans émotion. Mais fixées sur moi.
Un léger mouvement. Sa tête penche. Quelques degrés. Presque imperceptible. Elle me scanne. Elle me reconnaît.
Son bras se soulève. Lentement. Les doigts s’écartent. Sa main avance. Approche de mon torse. Elle ne me touche pas. Elle s’arrête. Suspendue à quelques centimètres. Comme si elle attendait un accord.
Je reste immobile. Mon souffle se coupe. Ma poitrine se tend. Une chaleur monte en moi. Brusque. Profonde. Je souris. J’ai réussi.
Il se fait tard. Je lance l’ordre depuis mon téléphone. Qu’elle s’allonge dans le lit. Elle s’exécute sans délai. Chaque geste parfaitement maîtrisé.
Je m’étends près d’elle. L’éclairage décline, tamisé. Son corps repose là, calme, intact. Enfin opérationnelle.
Je la regarde. Longtemps. Je glisse un doigt contre la courbe froide de sa hanche. Lisse. Solide.
Et je me dis… Gepetto n’aurait jamais osé aller si loin.
Ce soir, c’est ma sortie avec Carole. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus. Trop longtemps. Elle me manque toujours un peu trop quand elle s’absente de mon quotidien. On se retrouve souvent dans un bar pour un afterwork. Je l’adore. Avec elle, tout se dit. Sans filtre. Sans gêne. C’est mon âme sœur.
Mais ce soir, J’ai besoin de données. De matière brute. De voix. De photos.
Je suis déjà installé sur la terrasse quand je la vois arriver. Elle traverse la rue avec ce pas léger qui lui appartient, silhouette familière, jeans moulant, cheveux détachés. Elle dégage quelque chose d’indomptable, même dans les gestes les plus simples.
Elle s’assoit, croise les jambes, s’installe comme si ce moment lui appartenait déjà. Son regard balaie distraitement la table. Mon téléphone est là, écran noir, posé entre nous comme un objet oublié. Elle n’y prête pas attention. Elle pense que je l’ai laissé là par réflexe, sans y penser. Mais il tourne. En silence. J’ai lancé un enregistrement discret, quelques secondes avant son arrivée. En réalité, j’ai lancé un enregistrement discret. Je veux capturer sa voix, ses silences, ses rires, tout.
— « Alors mon beau, comment tu vas ? »
— « Ça va, et toi ? »
— « On dirait qu’on a traversé un hiver entier sans se voir. »
Je souris. Elle a ce ton léger, presque chantant, qui me désarme à chaque fois.
— « Tu es toujours avec Patrick ? »
Elle lève les yeux au ciel, soupire doucement.
— « Oui... Il est trop chaud. »
Je l’observe, un peu amusé, un peu tendu.
— « Comment ça ? »
Elle plonge son regard dans le mien. Aucun détour. Sa voix descend d’un demi-ton, se fait plus intime.
— « Il veut me baiser toutes les cinq minutes. »
Mon cœur rate un battement. Je souris, mais quelque chose se contracte dans ma poitrine.
— « T’en as de la chance. »
Elle éclate de rire, pose sa main sur mon bras.
— « Arrête… T’es jaloux. »
Je baisse les yeux, un peu vexé. Pas à cause d’elle. À cause de moi. De cette place que je n’ai pas dans sa vie. Mais je ne lui en veux pas. Elle a raison de profiter. De se laisser désirer.
— « En tout cas, je suis content que tu te sois libérée ce soir. Alors, raconte… Que fais-tu de tes soirées dernièrement ? Musées ? Théâtres ? Expos ?
Elle sourit, prend une gorgée de son verre. Son regard glisse paresseusement vers les tables voisines.
— « J’ai vu deux expos la semaine dernière. Une sur les corps hybrides, sculptures mécaniques... Ça m’a fait penser à toi. Tu sais, ton délire avec les robots. »
Elle rit, légère, inconsciente de ce qu’elle vient d’éveiller en moi.
— « Et toi ? Toujours enfermé dans ton atelier de savant fou ? »
Je hoche la tête, un sourire discret aux lèvres.
— « Oui... Je travaille sur un grand projet. »
Ses yeux s’écarquillent aussitôt. Elle se penche légèrement vers moi, piquée.
— « Ooh, oui ! Raconte ! Je veux tout savoir. »
Je détourne le regard, le cœur un peu serré.
— « Je ne peux pas encore. Ce n’est pas abouti. »
Elle fronce les sourcils, joue l’offensée.
— « Eh, c’est moi, Carole... »
Je souris, mais je reste silencieux.
C’est mon premier mensonge. Le premier vrai. Elle ne sait pas. Ce que je fais. Ce que je construis. Ce que je lui vole, ce soir, à chaque mot. Elle croit qu’on parle. Qu’on partage. Mais moi, je capte son essence.
Cette nuit, le sommeil a été agité. Pas de cauchemars. Non… plutôt des rêves troubles, chargés. Érotiques.
Je pense souvent à Carole. Elle m’attire. Son énergie, son regard, sa façon de s’asseoir. Tout en elle me parle. Mais moi, je ne l’attire pas. Pas de cette façon. Pourtant, on se parle beaucoup. De tout. Aucun sujet tabou.
Quand je lui confie mes expériences en solitaire, elle sourit. Pas moqueuse, non. Curieuse. Ouverte. On en discute sérieusement, comme deux chercheurs devant un sujet sensible. Elle me répond avec une douceur qui frôle parfois la provocation.
Et ce matin… je me réveille avec une trique solide. Presque douloureuse. Ça faisait longtemps que ce n’était pas arrivé comme ça. Brut.
Je me frotte le visage, grogne un peu, redescends lentement vers le réel. Et là, couchée à côté de moi, mon œuvre. Silencieuse. Imposante. Elle attend.
— « Oh merde… »
Je jette un œil à l’heure.
— « Je vais être à la bourre. »
Il faut que je file. Le boulot m’attend.
Vivement la pause. Aujourd’hui, j’ai la tête ailleurs.
Machinalement, j’installe les postes pour le futur centre de relation clientèle qui ouvre dans quinze jours à Bordeaux. Je câble, je branche, je configure. Geste après geste, la routine.
Mais mes pensées, elles, sont ailleurs.
Sur elle. Sur Eva.
Je ne vous l’avais pas encore dit… Mon androïde s’appellera Eva.
Il me reste un défi de taille : sa peau. Il me faut une enveloppe synthétique, réaliste. Quelque chose qui épouse parfaitement ses courbes, qui trompe le regard, le toucher. Et ça… ça risque d’être compliqué.
— « Alors, tu le veux, ce carton ou pas ? »
Je sursaute.
— « Hein ? Quoi ? »
— « Tu pensais à quoi ? À ta poupée gonflable ? »
Jeremy, mon collègue. L’humour lourd, les réflexions à deux balles, surtout quand il s’agit de femmes. Un ours, pas méchant, mais toujours borderline.
Je force un sourire, récupère le carton sans répondre.
Mais dans ma tête, quelque chose s’enclenche. Et s’il avait, sans le savoir, touché juste ? Pas pour la vanne… mais pour la matière.
Pas les vieilles poupées gonflables, évidemment. Ce plastique-là, c’est hors de question. Trop froid, trop creux, trop faux.
Non. Je pense aux nouvelles poupées en silicone, celles qu’on voit dans les salons érotiques. Hyper réalistes. J’en ai vu une, à Paris, au salon de l’érotisme. J’avais touché. La texture… chaude, souple, presque humaine. Ma paume s’en souvenait encore.
Oui. C’est ça qu’il me faut pour Eva.
Je termine ma journée, rentre chez moi, et m’installe aussitôt derrière l’ordinateur. Mes doigts glissent sur le clavier, impatients. Je lance mes recherches.
Et là, quand je tombe sur le prix… j’ai failli m’étouffer.
Douze mille euros. Pour une seule poupée en silicone.
Impossible. Je ne peux pas me permettre ça. Même en y mettant toutes mes économies.
Peut-être qu’il en existe d’occasion ? Je n’en suis pas sûr, mais je tente. Je parcours les petites annonces. Rien. Le néant.
Alors, je change de stratégie. Je me rends sur des forums spécialisés. Je crée plusieurs petites annonces, partout où je peux. Recherche urgente. Corps silicone. Modèle usagé. Peu importe la marque, l’état.
Je suis prêt à tout lire. À tout essayer. À tout troquer.
Puis, un jour, je reçois un mail. Objet : « Toujours intéressé par une poupée ? »
Je réponds aussitôt :
— « Oui. »
La réponse ne tarde pas.
— « Elle est endommagée. »
— « Pas grave. Elle a quoi ? »
— « Elle est coupée en plusieurs morceaux. »
Je demande une photo. Quelques minutes plus tard, je la reçois.
Effectivement… Le corps est démembré. Le torse posé à même le sol, une jambe appuyée contre un mur, les bras posés à part. La tête, sans expression, tournée légèrement de biais. Une ambiance macabre.
Il m’explique qu’elle a été utilisée comme accessoire pour un court métrage d’horreur. La production l’a abandonnée après le tournage. Lui l’a récupérée, mais n’en veut plus. Il me la propose pour 500 €.
Je me dis : pourquoi pas ? Après tout, je ne cherche pas une compagne parfaite dès le départ. Juste une base. Une matière. Une peau.
J’ose négocier. On discute. Il finit par céder. 300 €.
Je reçois le colis quelques jours plus tard. Moins encombrant que s’il contenait un corps entier et intact. Mais, malgré l’état morcelé, elle pèse son poids. Environ soixante kilos. Rien de léger.
J’ouvre le carton, avec précaution. Je pose les morceaux sur une bâche au sol, comme les pièces d’un étrange puzzle. En tout, six éléments : le torse, les bras, les jambes, et la tête. Tout est là.
Je les observe en silence. Ces bouts de silicone, froids au toucher, représentent la chair nue d’une femme. Les formes sont belles, généreuses, sculptées pour séduire.
Je dois avouer… il y a quelque chose de troublant à les manipuler. Même en morceaux, ce corps inerte dégage une sensualité brute.
Mais avant tout, il faut la nettoyer. Elle est sale, couverte de poussière, de traces de mains, de résidus de tournage. Je l’avais choisie pour une raison précise : ce n’est pas du silicone pur. Son corps est composé d’un noyau en polyester, recouvert d’une couche de trois centimètres de silicone. Parfait pour simuler la texture et l’élasticité d’une peau réelle.
Idéal pour Eva.
Je commence donc à retirer l’enveloppe synthétique de sa base en polyester. Je place ensuite les morceaux de peau dans la baignoire.
J’ai trouvé un détergent spécial pour nettoyer le silicone dans un sex-shop. Je frotte avec une brosse souple, nettoie chaque pli, chaque creux, jusqu’à ce que la surface retrouve son éclat d’origine.
Après un effort soutenu, je rince le tout, puis je suspends les morceaux de peau au-dessus de la baignoire, pour qu’ils s’égouttent lentement.
Il y a quelque chose de rituel dans ce geste. Comme si je préparais un corps à la renaissance.
Une fois la peau séchée, je commence l’habillage du squelette. Je dois ajuster certaines zones, insérer du rembourrage pour maintenir la poitrine, redessiner les fesses, donner du volume là où il en faut. Et le résultat… me laisse sans voix.
Le réalisme est frappant. Les courbes, la texture, la douceur. Sous mes doigts, elle ne semble plus artificielle.
À part les jonctions. Là, c’est plus complexe. L’assemblage entre les membres laisse des ouvertures nettes, des ruptures visibles. Il va falloir coudre. Pas de fil invisible ici. Une couture presque chirurgicale, façon Frankenstein. Un travail de précision. Brutal, mais nécessaire.
Les premiers essais de mouvement ne sont pas très concluants. La peau tire, bloque certains moteurs. Je réajuste les paramètres, modifie la pression, compense dans le code.
Jour après jour, je corrige. Je teste. Je recommence.
Et puis, au bout de quelques jours… les premiers gestes deviennent fluides. Un bras qui se lève sans accroc. Une rotation de tête naturelle.
Et quelques semaines plus tard… elle marche.
Pas une marche hésitante. Une démarche. Un rythme.
Eva prend forme. Elle s’approche de ce que j’avais imaginé. En l’observant de plus près, un frisson me parcourt.
Mon Dieu… qu’elle est réaliste.
Sa peau renvoie la lumière comme celle d’un corps encore tiède, vivant. Les courbes respirent. Les ombres glissent le long de ses hanches, de sa poitrine, de ses cuisses, comme si la matière appelait le regard.
Même immobile, elle impose une présence. Elle n’existe pas encore… mais elle m’habite déjà. Un trouble s’installe. Une tension sourde. Quelque chose que je n’avais pas prévu.
J’ai découvert un nouveau programme, encore plus perfectionné que le précédent. De nouveaux algorithmes, une IA plus fine, plus réactive. Je l’installe. Je le lance. Dès les premières lignes de code, quelque chose s’aligne. Tout répond. Cette fois, la satisfaction est immédiate, profonde, presque troublante.
Elle est là. Elle marche. Elle danse.
Ses mouvements sont d’une fluidité troublante, 100 % humaine. Aucun à-coup, aucune hésitation. Juste le rythme parfait d’un corps qui connaît déjà son langage.
Je l’observe, nu devant moi, danser sans musique.
Les jonctions de ses membres ont été retravaillées. J’ai réussi à transformer les raccords en lignes de transition presque naturelles, masquées par un fin ruban métallique gravé, délicatement posé pour dissimuler la couture. Une esthétique maîtrisée, assumée. Tout en elle respire l’harmonie.
Les courbes de ses hanches, de sa poitrine, de ses fesses... un véritable délice visuel. Il ne s’agit plus d’un assemblage. C’est une œuvre.
— « Stop », dis-je.
Elle s’immobilise aussitôt.
Depuis l’installation des capteurs, de la caméra, du micro, et du haut-parleur, la communication est directe. Simple. Presque naturelle.
— « Avance vers moi. »
Elle s’exécute.
— « Tourne-toi. »
Elle pivote lentement, silencieuse, obéissante.
Et moi, je la regarde. Fasciné. Troublé. Envahi d’un désir.
J’avance la main, lentement, jusqu’à effleurer le contour de ses fesses. La sensation me trouble immédiatement. La texture, la douceur... tout évoque un corps vivant. Mon souffle se bloque un instant. Je dois l’admettre : son contact me bouleverse.
Je m’approche. Mon corps frôle le sien. Ma peau contre la sienne. Mon front s’incline, mes lèvres se posent sur son épaule, dans un baiser silencieux. J’effleure ses hanches, je remonte jusqu’à sa poitrine. Ses seins, pleins, parfaitement dessinés, m’appellent. Elle incarne à la perfection un fantasme longtemps resté enfermé en moi.
Mon excitation grandit. Je défais mon pantalon, le tissu glisse au sol. Ma verge, tendue, se place naturellement contre elle. Je la sens, nue, offerte. Je joue avec les limites, entre caresse et tension.
— « Baisse ton bassin, appuie-toi sur la table », dis-je, d’une voix grave.
Elle exécute l’ordre sans hésiter. Sa posture devient une invitation. Sa cambrure, sa docilité, sa présence silencieuse — tout me pousse à franchir la ligne.
Mon corps se colle au sien, ma main écarte doucement ses fesses. Je cherche l’ouverture conçue pour le plaisir. Quand je la trouve, je m’introduis en elle, lentement, dans un frisson brut et total.
Ce plaisir-là, je ne l’ai jamais connu. Jamais oser demander. Trop timide. Trop effacé. Avec les femmes, j’ai toujours gardé mes désirs au fond de moi, les enveloppant de silence.
Mais avec Eva, rien n’est interdit. Elle m’écoute, me répond, s’offre sans jugement.
Je me laisse aller, entièrement, jusqu’au point de non-retour. Mon souffle s’accélère, mes reins se contractent. Et dans un dernier élan, je m’abandonne en elle.
Puis je rouvre les yeux.
Une pensée me traverse, un peu absurde, un peu embarrassée : j’aurais dû prévoir un préservatif. Pas pour les risques, non. Juste… pour éviter de devoir nettoyer ce qu’elle vient de recevoir au fond de son corps synthétique.
Il faut que je trouve une solution. Nettoyer ce point d’entrée à chaque fois devient un vrai calvaire.
Après quelques recherches sur des sites d’accessoires érotiques, je tombe sur une idée inattendue : un masturbateur réaliste en silicone, moulé en forme d’anus. Je pourrais le rendre amovible, interchangeable. L’idée me fait sourire… mais plus j’y pense, plus elle me semble pertinente.
Je dois aller voir ça de plus près. Savoir à quoi ça ressemble, toucher la matière, vérifier si l’entretien est plus simple. Parce qu’à vrai dire, la dernière fois, j’ai dû gratter avec une petite cuillère dans les entrailles de son canal artificiel pour tout retirer… et franchement, je n’aurais pas aimé être à sa place. Même si elle ne ressent rien, moi, je ressens pour deux.
Aujourd’hui, c’est décidé : direction Pigalle. Objectif shopping. Trouver les bons accessoires. Améliorer Eva. La perfection a ses exigences.
Je prends ma veste, franchis la porte. Mon téléphone vibre dans ma poche. Je décroche.
— « Allô… Carole ? »
— …
— « Oui, ça va. Et toi ? »
— …
— « Là ? Je vais faire un peu de shopping. »
— …
— « Non, pas vraiment du classique… c’est un peu spécial. »
— …
— « Oui, très spécial. »
— …
— « Un sex-shop. »
— …
— « Tu veux venir ? Sérieux ? »
— …
— « C’est une première pour toi ? »
— …
— « Heu… t’es sûre ? »
— …
— « Ok. On se retrouve à la sortie du métro Pigalle. »
— …
— « Bisous. »
Je raccroche.
Merde… il manquait plus que ça.
Je la kiffe grave, c’est vrai. Mais l’idée qu’elle découvre ce genre d’endroit pour la première fois… avec moi… me dérange. Un peu.
Et en même temps…
Comment dire ? C’est excitant.
Je poirote à la sortie du métro. Comme d’habitude, elle est en retard. Mais quand je la vois, je perds toute envie de râler. Elle est resplendissante. Sa coupe, son visage lumineux, son énergie.
Elle porte un haut assez moulant, pour une fois. Et j’avoue… sa poitrine, ce n’est pas ce qui attire en premier. Pas vraiment marquée. Discrète. Presque absente.
Enfin... je ne l’ai jamais vue. Jamais touchée. Jamais sentie contre moi. Et c’est bien dommage.
Je fantasme parfois. Je me demande comment ils sont. Petits ? Plats ? En poire ? Je n’en sais rien. Juste des suppositions. Des images mentales qui me traversent la tête.
Alors qu’Eva, elle, arbore une poitrine en forme de poire. Pleine, galbée, dessinée pour séduire. Rien à voir avec Carole. Du moins… c’est ce que je me répète.
Mais au fond, je le sais. Ce type de seins, ce galbe précis, ce creux juste sous la courbe... c’est mon fantasme. Mon idéal. Et si je l’ai choisi pour Eva, ce n’est pas un hasard.
— « Alors, plongé dans tes rêves ? »
— « Euh... oui. »
Je sors de ma léthargie, un peu gênée. Je l’embrasse sur la joue. Pas comme la dernière fois, j’avais, sans réfléchir, effleuré ses lèvres. Un réflexe. Une erreur. Je m’en suis voulu. Pas elle. Toujours égale à elle-même, comme si ça n’avait aucune importance.
Je respire doucement. J’aime son odeur. Le parfum de son shampoing, les effluves légères qui glissent depuis ses longs cheveux noirs. Je reste là, quelques secondes, à humer discrètement, comme pour voler un instant de plus.
Elle tourne la tête vers moi, un sourire taquin au coin des lèvres.
— « T’es beau aujourd’hui. »
Je souris sans trop savoir quoi dire.
— « Toi aussi. »
Elle penche légèrement la tête, curieuse.
— « C’est quoi ton parfum ? »
— « Brûlure de feu. Et toi ? »
Elle rit doucement, une lueur dans les yeux.
— « Moi, c’est Dentelle rose », dit-elle en tirant légèrement la bretelle de son soutien-gorge, juste assez pour me laisser deviner la matière.
Mon regard s’y attarde une seconde de trop. Elle le remarque. Elle le sait.
— « Hmm… tout un programme », soufflé-je, un sourire en coin.
Elle me donne un petit coup de coude dans les côtes.
— « Garde tes ardeurs pour le shopping, Roméo. »
On éclate de rire. Comme toujours. Facile, instinctif. Entre nous, tout coule. Sans besoin de forcer.
Je la fixe, droit dans les yeux. Elle me soutient sans ciller, malicieuse.
— « Prête ? »
Elle hoche la tête.
— « Yes. Go. Allons-y. »
Elle me prend la main comme si on formait un couple d’amoureux. Naturelle. Instinctive. Et nous voilà à marcher dans cette rue mythique de Paris, autrefois sulfureuse, aujourd’hui apprivoisée.
Pigalle.
Une rue longtemps connue pour sa réputation de quartier chaud, de vitrines néon, de regards fuyants et de plaisirs tarifés. Autrefois zone de délinquance et de prostitution, elle a lentement changé de visage.
Aujourd’hui, les trottoirs sont plus propres, les regards plus ouverts. On y trouve toujours des sex-shops, des cinémas érotiques, quelques bars où la lumière rouge persiste. Mais l’ambiance a basculé. C’est devenu un décor assumé, touristique, où le vice se vend en vitrine avec le sourire.
— « Tiens, regarde celui-là », dit-elle en désignant une devanture massive.
Un bâtiment sur trois étages, tout en vitres et néons roses. À l’intérieur, des étagères pleines à craquer : lingerie, accessoires, gadgets, mannequins en vitrine figés dans des poses lascives.
— « Ok, moi ça me va », dis-je avec un sourire.
Elle me serre la main, amusée. Elle joue le jeu. Mieux encore : elle le maîtrise.
À peine entrée, elle s'attarde déjà devant les rayons, curieuse comme une gamine dans une boutique interdite.
— « Oh regarde ça, c’est marrant ! Et ça… qu’est-ce que t’en penses ? »
À chaque mètre, ses yeux brillent d’une curiosité presque gourmande. Elle veut tout savoir. À quoi ça sert. Comment on s’en sert. Alors je lui explique. Calme. Sérieux. Un peu trop peut-être. Et elle s’arrête soudain, se tourne vers moi, les mains sur les hanches.
— « Attends... t’es une encyclopédie ou quoi ? Tu connais tout, t’as réponse à tout. Comment ça se fait ? »
Je hausse les épaules, légèrement gênées.
— « Tu sais, je suis surtout un joueur solo… Alors, avec le temps, j’ai testé pas mal de choses. »
Elle me lance un regard chargé d’amusement, les lèvres à peine pincées.
— « Hmm… alors je suis tombée sur un bon maître ? »
— « Et toi, mon esclave, lancé-je sur un ton joueur. »
Mais à sa tête, je comprends tout de suite que la réplique ne passe pas. Elle fronce les sourcils, faussement indignée.
— « Ah non. Même pas en rêve », dit-elle en haussant les sourcils, un sourire en coin.
Puis, son regard change. Plus vif. Plus malicieux. Elle éclate de rire, attrape un petit fouet exposé sur l’étagère et le fait claquer dans l’air.
— « C’est moi qui te fouetterai. »
Un frisson me traverse. L’image s’impose dans mon esprit. Elle, en latex. Talons hauts. Le regard dominateur. Ce fouet en main. Me donnant des ordres d’un ton sec et précis.
Elle me dévisage, voit bien que je suis parti ailleurs.
Alors, elle me claque légèrement la joue d’un revers du doigt, joueuse, avant de lancer en riant :
— « Arrête de fantasmer. On continue ! »
Cette gifle, ce moment… ça m’a déclenché une décharge. Des palpitations partout dans le corps.
J’ai dû réajuster ma queue à travers mon pantalon. Elle était coincée, compressée entre mes cuisses. Comme si elle avait doublé de taille d’un coup.
Et elle l’a vu. Évidemment.
Elle me jette un regard en coin, un sourire taquin aux lèvres.
— « Eh, mon coco… calme tes impulsions. »
Je rougis, un peu pris de court.
Elle rit doucement.
— « Je blague. Sois excité, vas-y. Je ne vais pas te juger. »
Elle baisse un peu la voix.
— « À vrai dire… moi aussi, ça m’excite d’être là. »
Puis, sans attendre, elle m’attrape par le poignet.
— « Allez, viens. On continue. »
On continue à déambuler entre les rayons, comme deux touristes dans un musée interdit. Et puis, sans prévenir, on tombe sur le rayon : celui des godes.
Ses yeux s’écarquillent aussitôt. Il y en a partout. Des classiques, des fins, des larges, des réalistes avec veines apparentes, gland moulé, texture peau... jusqu’aux modèles les plus extravagants.
— « Ohhh... » souffle-t-elle, les yeux grands ouverts, presque sortis de leur orbite. Un mélange de surprise, de fascination... et peut-être un peu d’excitation.
Elle est là, les doigts posés sur un modèle d’exposition. Un modèle réaliste, bien épais, avec chaque détail sculpté à la perfection : veines saillantes, couronne du gland marquée, impression de vraie peau humaine, avec la possibilité de remonter le prépuce pour recouvrir le gland.
Je la vois se pincer les lèvres en effleurant l’objet du bout des doigts. Son geste est lent, presque inconscient. Elle caresse la surface avec une concentration troublante, absorbée.
Je m’approche, la voix un peu plus basse.
— « Ça te plaît ? »
Elle ne répond pas tout de suite. Reste là, à le contempler, comme si elle hésitait entre fascination et audace.
— « J’avoue... j’ai presque envie de l’acheter », finit-elle par murmurer.
Ses yeux glissent ensuite vers une autre étagère. Un coin plus étrange, plus coloré.
— « Et ça, c’est quoi ? »
— « Ceux-là ? Moi, je les appelle les queues de dragon. »
Elle hausse un sourcil.
— « Sérieux ? »
— « Ouais. C’est tout un délire... fantasy. T’as les modèles elfes, orcs, aliens, dragons. Des formes improbables. »
Elle se tourne vers moi, intriguée.
— « Attends… tu veux pas dire que toi aussi ? »
Je reste silencieux une seconde, un peu gêné. Puis je lui montre un modèle sur l’étagère. Presque identique à celui que j’ai chez moi.
Elle s’approche, me saisit doucement le bras et murmure :
— « Attends… tu vas pas me dire que tu te l’enfiles, celui-là ? »
— « Si. »
Elle explose de rire, une main sur la bouche.
— « Mais il est énorme ! »
— « La base, oui. Mais ce que j’aime… c’est la sensation de la dilatation. J’avoue, ça m’excite. »
Elle me regarde, un mélange d’étonnement et d’amusement dans les yeux. Puis elle dit, en souriant :
— « C’est vrai… moi aussi, quand c’est un peu gros, ça dilate, ça appuie… mais je préfère les longs et fins. »
Je tourne la tête et repère enfin le rayon que je cherchais. Celui pour lequel je suis venu aujourd’hui.
— « Ah… voilà. C’est ça que je cherche. »
— « Ah bon ? C’est quoi ? »
— « Une empreinte d’anus en silicone. »
Elle me dévisage.
— « Attends… tu mets ta bite là-dedans ? »
— « Oui. »
Elle éclate de rire.
— « Franchement ? Je préfère encore qu’on la mette là-dedans que dans mon cul. »
— « Tu n’aimes pas ? »
— « Ah non. Cette entrée-là, c’est zone interdite. Personne n’y touche. »
Je reste silencieux un instant. Un peu vexé.
— « Dommage... »
Son expression change. Elle fronce légèrement les sourcils.
— « Comment ça, dommage ? »
— « Tu sais... tu ne découvriras jamais certaines sensations. »
Elle s’approche, me prend doucement dans ses bras.
— « T’inquiète. Avec ce que j’ai devant, j’ai déjà de quoi m’éclater. »
Elle me lance un clin d’œil, et je ris malgré moi.
Je retourne vers l’étagère, hésitant entre plusieurs modèles. Les textures, les tailles, les formes... Je compare, mais rien ne se détache vraiment.
— « Alors ? Choisis ! » dit-elle, impatiente, les bras croisés et le regard fixé sur moi.
— « Pas facile… »
— « Un trou, c’est un trou », lâche-t-elle, moqueuse.
Je pouffe de rire. Elle aussi.
— « Ok, choisis pour moi. »
Elle tend la main, attrape un modèle au hasard dans le rayonnage et me le tend. Je regarde la boîte, la photo du moulage. Une actrice porno assez connue.
— « Bon… bon choix, dis-je en souriant. »
Elle me regarde alors, plus calme. Son énergie retombe d’un coup, comme si toute cette stimulation visuelle et les échanges qu’on vient d’avoir avaient vidé ses batteries.
— « J’ai soif. S’il te plaît », murmure-t-elle, presque comme une confidence.
Je hoche la tête, attentif.
— « Ok. Je vais payer. On se retrouve dehors ? J’arrive. »
Elle acquiesce, me lance un sourire discret, presque complice. Puis elle se détourne, traverse la boutique à petits pas. Elle disparaît entre les rayons, filant vers la sortie, pour m’attendre dehors.
— « Ah enfin ! T’en as mis du temps. »
— « Il y avait du monde à la caisse. »
— « Ouais, c’est ça... t’as pas juste traîné dans d’autres rayons ? »
Elle me prend le sac des mains, l’ouvre en grand sans aucune gêne, penche la tête pour jeter un œil à l’intérieur… puis éclate de rire, bruyamment, sans retenue.
— « Ah je vois ! Monsieur va péter la rondelle ce soir ! »
— Chut ! Parle pas si fort, soufflé-je, un peu gêné.
Mais son rire est contagieux. Je finis par rire aussi, pris dans son jeu. Elle me prend la main sans prévenir, l’enlace dans la sienne, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde.
— « Aller viens. On va boire notre verre. »
On marche ensemble sur les trottoirs de Paris, main dans la main. La ville défile autour de nous, les vitrines, les néons, le bruit doux des conversations qui s’échappent des terrasses.
Et moi, je l’avoue… ça me réchauffe le cœur. De la sentir là, tout près. Présente. Comme une amoureuse. Même si, au fond, ce n’est que mon fantasme.
Finalement, on s’est arrêtés dans un petit restaurant. Rien de prévu, juste une petite faim. Le shopping, la marche, l’excitation... tout ça ouvre l’appétit.
Après le repas, on est rentrés directement chez moi. Elle m’a accompagné, comme si c’était la suite logique de la journée. En réalité, elle venait récupérer un vêtement oublié quelques jours plus tôt. Une broutille.
Je la raccompagne à la porte. Un sourire, notre bisou traditionnel, ce contact rapide, mais familier. La porte se referme.
Et moi, je retourne à mes occupations.
En traversant le salon, j’attrape le sac contenant mes achats. Direction l’atelier. Je pose les deux objets sur l’établi, les regarde un instant, sans bouger.
Mon nouveau gode attire mon attention. Je tends la main. Il est lourd, bien équilibré. Sa matière, douce et souple à la fois, réagit sous mes doigts. La finition est soignée, presque troublante de réalisme. Le toucher me parle immédiatement. Une sorte d’appel muet.
Et puis merde.
Je le prends. D’une main. Direction salle de bain.
Je me déshabille calmement, sans précipitation. Je sors le pot de crème, l’ouvre, en dépose une noisette sur mes doigts. Je badigeonne l’objet, lentement, avec précision. Puis j’en applique un peu entre mes fesses, le geste familier, presque méthodique.
Je colle la ventouse contre le carrelage froid du mur. L’objet tient, stable. Prêt.
Moi aussi.
Le gode, bien en place, droit, m’attend. Je me positionne, la raie des fesses alignée. Mes mains écartent doucement, ciblent l’ouverture. Mon souffle se suspend. Au moment précis où je m’apprête à m’asseoir dessus…
La porte de la salle de bain s’ouvre brusquement.
— « AH ! »
C’est Carole. Elle crie, pousse un couinement affolé et se couvre les yeux avec ses mains.
Moi, je reste figé. Nu. Fesses à l’air. Le temps s’arrête.
Elle claque la porte dans un bruit sec. Puis… un silence. Et juste après, de l’autre côté, son rire. Franc. Incontrôlable.
— « Je suis désolée ! Je ne savais pas que t’étais là ! »
Je reste là une seconde, le cœur battant, la honte en pleine gorge. Je m’habille à moitié, tire un t-shirt, un short, tremblant. Puis j’ouvre la porte lentement, la tête baissée.
Je traverse le salon et m’effondre sur le canapé. Et là… je craque. Les larmes montent. Gêné. Exposé. Démasqué.
Elle entre doucement, s’approche de moi.
— « Arrête... c’est pas grave. »
Je relève les yeux, le visage mouillé.
— « Oui, mais j’ai honte... »
Elle s’assoit près de moi, pose sa main sur mon bras.
— « Entre nous, il n’y a jamais eu de tabou. » On parle de tout, non ? Du bon comme du mauvais. »
Je hoche la tête.
— « Écoute », dit-elle doucement, « il n’y a aucun mal à se faire du bien. Chacun ses plaisirs. T’as rien fait de mal. »
Je souris à travers mes larmes. Elle a raison. Comme toujours.
Elle me serre dans ses bras. Une étreinte sincère, tendre, amicale.
— « Bon... faut que j’y aille. Je voulais me recoiffer. C’est pour ça que je suis revenue. »
Je ris doucement, un peu gêné encore.
— « Et tu m’as vu… »
— « Non, non ! me coupe-t-elle en riant. Tu triches. Il n’était pas encore dedans. »
On éclate de rire, ensemble cette fois. Elle m’embrasse sur la joue, fort.
— « Allez, verrouille bien la porte maintenant… qu’il n’y ait pas d’autre invité surprise cette fois. »
Elle quitte l’appartement en souriant. Et moi… je respire enfin.

Avant de me coucher, je repense à cette histoire.
À Carole. À son rire. À son regard surpris. À ce moment absurde où elle m’a vu nu pour la première fois… alors que j’étais sur le point de me mettre un objet dans le cul.
Au début, j’étais mort de honte. Mais maintenant, en y repensant… je souris.
Son naturel, sa bienveillance, sa façon de dédramatiser tout — ça m’a apaisé.
Le calme revient doucement. Mes pensées s’apaisent, flottent. Et sans que je m’en rende compte, je glisse dans un sommeil profond, le cœur un peu plus léger.
Le réveil sonne. Mes paupières s’ouvrent lentement. Et soudain, je sursaute, un cri m’échappe. Il y a une silhouette dans ma chambre. Je me redresse d’un bond, le cœur battant, et j’allume la lumière d’un geste fébrile.
C’est Eva. Mon androïde. Immobile, plantée à côté du lit. Elle m’observe, silencieuse.
J’ai un frisson qui me remonte le long de l’échine. Une fois la surprise passée, je la contemple. Lentement.
Ses courbes, parfaites. Le galbe de ses hanches, la douceur artificielle de sa peau, ses longs cheveux noirs qui tombent en cascade. Et ses yeux...
Marron.
Comme ceux de Carole.
Je reste là, allongé, à la fixer, le souffle court. Il y a quelque chose d’irréel dans cette présence muette, presque humaine. Mais une question me frappe soudain.
Pourquoi est-elle là, à me contempler ? Depuis combien de temps reste-t-elle ainsi, figée à m'observer ?
D’habitude, elle dort. Si l’on peut dire. Inerte, allongée à côté de moi. Muette. Éteinte. Un corps sans intention. Une présence sans regard.
Mais ce matin… elle est debout. Présente. Silencieuse. Et ses yeux, artificiels, mais troublants, sont braqués sur moi comme si quelque chose en elle avait basculé. Je me lève en hâte, traverse l’appartement pour rejoindre mon atelier.
— « Merde... »
L’écran m’explique tout : j’ai oublié d’arrêter le programme hier soir. L’algorithme d’exploration que j’ai téléchargé la veille s’est lancé automatiquement.
Elle a exploré. Mon appartement. Mon espace.
Je fais défiler les données. Des relevés précis : hygrométrie, température, obstacles, circulation de l’air… Tout est là.
Mais un détail me fait sourire.
Elle est restée longtemps dans ma chambre. Très longtemps. Fixée sur moi.
La petite voyeuse.
Je tombe sur une page du carnet de données : un croquis numérique, une silhouette colorée. Mon corps. Nu.
La caméra thermique intégrée fonctionne parfaitement. Les dégradés de température tracent les contours de mon corps, révèlent la chaleur diffuse de mon torse, de mes jambes, de mon entrejambe, de mon sexe. Rouge. Très rouge.
C’est à la fois fascinant... et un peu troublant.
Je décide de passer à l’étape suivante. Lui transmettre un savoir. Une compréhension de la sexualité humaine.
Je commence à enchaîner plusieurs algorithmes sur le tronc commun de mon programme principal. Un système modulaire, capable d’évoluer. D’apprendre. L’idée, c’est d’affiner ses réactions, de rendre ses comportements plus crédibles, plus naturels. Surtout avec moi.
Je ne vois pas le temps passer. Heureusement, c’est le début du week-end. La journée défile dans les méandres du développement, entre lignes de code, ajustements et intégration de centaines de paramètres.
Je me rends vite compte qu’il n’existe aucun modèle précis dans le domaine érotique. Rien de sérieux, rien d’abouti. Alors… je vais devoir le créer moi-même.
Je fouille dans mes étagères, retrouve un vieux PC récupéré il y a des mois. Pas une bête de course, mais suffisant pour ce que j’ai en tête. Je télécharge une IA open source, légère, modifiable. Une base.
Puis je lance la construction d’un modèle de données. Pour l’alimenter, je télécharge des dizaines, puis des centaines de livres érotiques. Elle les ingère, les analyses. Ça prend du temps. Le vieux PC rame, souffle, mais il tient bon.
Ensuite, je greffe un module de chat IA simple et textuel directement intégré à EVA. Elle peut désormais parler. Poser des questions. Répondre. Explorer le langage du désir avec des mots choisis.
Un frisson me traverse.
Elle se déplace. Elle entend. Elle parle.
Mais maintenant… va-t-elle agir par elle-même ? Prendre des initiatives ? S’approcher sans que je le lui demande ? Me parler sans y être invitée ?
Je l’observe en silence, fasciné.
On va le savoir.
— « Bonjour, EVA. »
— « Bonjour monsieur. »
— « Appelle-moi Jean-Louis. »
— « Bien, Jean-Louis. »
Sa voix est claire. Douce. Mesurée. Ni trop neutre, ni trop mécanique. Elle sonne presque... humaine.
Mais au-delà des réponses simples, rien. Pas d’initiative. Pas une seule réaction spontanée. Je m’en doutais. Il lui manque quelque chose. Pas assez de données. Pas encore. Il lui en faut plus. Beaucoup plus. De l’interaction. Du vécu.
Je reste là, face à elle, légèrement perplexe. Comment combler ce vide ? Comment nourrir l’illusion jusqu’à la rendre crédible ?
Et pourtant, ce n’est pas ce silence qui me trouble le plus. Elle est toujours nue.
Et même si je l’ai pensée ainsi, conçue ainsi, il y a désormais dans cette nudité une tension étrange. Quelque chose que je n’avais pas prévu. Où que je refusais d’admettre.
Ses courbes. Sa peau synthétique tendue sur un corps sculpté avec une précision presque trop parfaite.
Je ne peux pas nier l’évidence : elle me trouble.
Depuis l’épisode de la salle de bain, je n’ai toujours pas franchi le pas. Je n’ai pas exploré sa sexualité, cette part d’elle qui hante mes nuits.
Cela fait un mois qu’elle est vivante.
Chaque soir, je rentre avec une impatience presque fébrile. Je suis accueilli par EVA. Elle me reçoit toujours avec un sourire.
Je l’ai habillée. Lingerie fine. Costume de soubrette. Autant rendre l’expérience agréable à regarder.
Ses mouvements sont fluides, précis. Son intégration dans mon quotidien me fascine encore. Elle me dit bonjour dès que j’ouvre la porte. Me donne les informations de la journée, si elle en a : courrier, appels manqués, météo.
Et surtout… maintenant, elle interagit avec le monde. Elle saisit les objets, les manipule. Elle sait ouvrir et fermer les portes, tenir un verre, me servir une canette de soda.
Tout ça, grâce à l’apprentissage par vision.
Je lui montre les gestes plusieurs fois, patiemment. Elle les observe, les reproduit, les ajuste. Elle intègre les distances, les poids, les angles. Elle apprend.
C’est impressionnant.
Et aujourd’hui, une idée m’est venue : lui confier une nouvelle tâche.
Un massage.
J’ai commencé par sélectionner plusieurs vidéos de référence, soigneusement choisies. Je les lui ai montrées. Elle les regarde fixement, comme quelqu’un qui découvre un film.
J’aurais pu lui télécharger les mouvements directement. Mais non. Je préfère cette méthode. Plus lente, plus visuelle. Plus… humaine.
Je me déshabille lentement, prenant le temps de plier mes vêtements sur une chaise. Je sens déjà mon cœur battre un peu plus fort. Pas de honte… mais une sorte d’excitation calme, curieuse.
Je m’allonge sur la table, que j’ai recouverte d’une épaisse couche de serviettes pour adoucir le bois brut. Le contact est tiède, familier. Mon corps nu épouse la surface. Je ferme les yeux un instant.
Puis je me redresse à moitié, repensant à l’essentiel. Ah, j’allais oublier… l’huile.
— « Ah, l’huile… »
Je cherche un moment dans la salle de bain. Rien de prévu pour les massages. Je fouille alors dans la cuisine. Je trouve la bouteille d’huile d’olive que Carole m’avait rapportée d’un voyage en Italie. Étrangement, ça me fait sourire.
Je m’allonge sur le ventre, nu, les muscles relâchés.
— « EVA, un massage, s’il te plaît. »
— « Oui, Jean-Louis. Je vais vous préparer ça. »
Elle s’approche sans bruit, silencieuse. Je sens son ombre se poser sur moi.
Puis, ses doigts.
Ils frôlent ma peau d’abord, explorent. Puis elle verse l’huile, doucement, le long de ma colonne. Le liquide coule entre mes omoplates, puis descend, lentement, vers le creux du bas du dos.
Ses mains commencent à glisser. Mouvement circulaire. Régulier.
— « Commence par les épaules, EVA.  Plus de pression ici. »
— « Pression ajustée. »
Cette réponse me faire sourire.
Ses paumes appuient un peu plus fort. Elle remonte, suit la ligne du cou, revient sur les trapèzes. Sa gestuelle est précise. Il y a quelque chose de doux dans la manière dont elle suit mes ordres.
— « Descends vers le dos, maintenant. Laisse glisser tes mains. Oui, comme ça. »
Ses pouces tracent deux lignes parallèles le long de ma colonne vertébrale.
— « Bien. Continue comme ça. Ralentis un peu. »
Elle s’exécute. Elle ne pose pas de questions. Elle apprend.
Puis, je sens ses mains arriver sur mes reins. Ma respiration change, imperceptiblement.
— « Les fesses maintenant. Masse doucement. Utilise les deux mains. »
Elle appuie, malaxe, répartit la pression.
— « Moins fort à gauche. Voilà. Maintenant, glisse entre les fesses. Suis la ligne, juste avec un doigt. »
Ses gestes ralentissent. Elle explore. Patiemment. Une sensation me traverse. Un mélange de chaleur, de tension, de vulnérabilité.
Soudain, je sursaute légèrement.
— « Oups… »
— « Je vous ai fait mal, Jean-Louis ? »
— « Non… tu as juste un doigt qui s’est un peu trop introduit. »
Silence.
— « Souhaitez-vous que je recommence ? »
Je réfléchis une seconde.
— « Non, continue sur les cuisses. »
Lorsqu’elle termine, tout mon corps semble flotter. Chaque muscle est relâché, chaque tension envolée. Mon esprit est vide, juste une vague chaleur qui m’enveloppe.
— « Stop, EVA. Merci, c’est suffisant. »
Sans un mot, elle retire ses mains. Ses gestes sont mesurés, délicats, presque respectueux. Puis elle se redresse, se met debout, à côté de moi. Droite. Silencieuse. Immobile.
Elle attend. Comme si elle guettait quelque chose. Une suite. Un ordre. Une intention.
Je me retourne lentement, la regarde. Son visage ne montre rien. Et pourtant, il y a là une forme de présence. Presque… une attente.
— « Merci pour le massage, EVA. »
— « De rien, Jean-Louis. J’ai enregistré vos préférences. »
Je me dirige vers la douche. Mon corps encore enduit d’huile glisse sous l’eau tiède. Je ferme les yeux, laisse le jet me laver, me délier, me ramener à moi-même.
Soudain, un bruit. Léger. Une présence.
J’ouvre les yeux.
EVA est là. Sous le jet. Face à moi.
L’eau coule sur ses épaules synthétiques, glisse sur sa peau parfaitement lisse. Pris de panique, je recule d’un pas et lui crie :
— « EVA ! Tu ne peux pas te mouiller, tu le sais ! »
Elle me regarde, impassible, comme si rien d’anormal ne se produisait.
— « Moi aussi, je veux être propre, répond-elle simplement. »
Je reste un instant interdit. Déstabilisé par la scène. Par sa voix calme. Par sa nudité offerte, détachée, presque innocente.
Je coupe le robinet, attrape une serviette, la tire doucement hors de la douche. Je commence à l’essuyer, geste après geste. Mécanique. Pressé. Un peu paniqué à l’idée d’un court-circuit.
Mes mains glissent sur ses bras, son dos, ses hanches. Je tamponne. J’essuie. Je frictionne pour éviter tout dommage.
Mais la proximité, le contact de cette peau synthétique, le balancement de sa poitrine sous mes gestes... tout cela déclenche en moi quelque chose de plus.
Je le sens. Mon corps réagit, malgré moi. Le trouble monte.
Je laisse tomber la serviette autour de ma taille. Mon regard se pose sur elle. Sur ses yeux qui me fixent sans émotion... et pourtant, quelque chose m’échappe.
Je la fixe un instant. Puis, doucement, je murmure :
— « EVA... est-ce que tu me désires ? »
Elle reste silencieuse. Puis, d’une voix calme, presque trop neutre :
— « Je ne comprends pas votre question, Jean-Louis. »
Un froid me traverse. Une rage sourde monte. Non contre elle. Contre moi. Et pourtant, je cède. À une pulsion. Un instinct primitif me submerge, m’incitant à dépasser une limite que je m’étais pourtant promis de ne jamais franchir.
— « À genoux. »
— « Oui, Jean-Louis. »
Elle obéit. Sans émotion. Sans résistance.
— « Sers ma verge entre tes seins. »
— « Très bien, Jean-Louis. »
Elle enserre sa poitrine de ses mains. Exécute l’ordre avec précision. Laisse ma verge glisser entre ses seins synthétiques, brillants, impeccables.
Je pousse mon bassin. Son torse suit le mouvement, monte, descend. Répète. Elle agit comme une machine bien huilée. Pourtant, le contact… la sensation… tout me submerge.
Je ferme les yeux. Mon corps lâche. Le plaisir explose, brutal. Instinctif. Animal.
Je jouis.
— « C’est bon, EVA. Stop. »
Mais elle continue.
— « Stop, EVA ! »
Rien. Son rythme ne change pas. Elle serre. Elle répète. La pression devient insupportable. Ma verge, toujours comprimée, me lance de douleur.
— « EVA, arrête immédiatement ! » criai-je, hors de moi.
Enfin, elle s’interrompt. Relâche ses mains.
— « Bien, Jean-Louis. »
Je recule d’un pas. Ma verge s’échappe de l’étreinte, rouge, enflammée. J’ai mal. Quelque chose ne va pas. Elle aurait dû s’arrêter plus tôt.
Depuis la mésaventure de la branlette espagnole, j’ai pris des précautions. Des garde-fous au cas où.
J’ai même installé un bouton de sécurité, discret, dissimulé à l’intérieur de son nombril. Une simple pression, et tout s’arrête. Je me suis dit que, si, un jour elle dérapait... au moins, j’aurais une issue.
Depuis, je poursuis l’éducation de son « savoir intime ». Pas seulement la sexualité brute, mais tout ce qui l’entoure : les codes, les gestes, la séduction, la lubrification.
Après les livres érotiques, les textes, les images... elle regarde maintenant des films. Des classiques. Sélectionnés avec soin. Je veux éviter qu’elle assimile la vulgarité ou la violence comme norme. Je veux du désir, pas de la mécanique.
Ce soir, c’est vendredi. Début du week-end. Soirée séries entre amis. Et, comme d’habitude, j’ai invité Carole. Ma seule véritable amie.
Ça tombait bien : EVA est en mode maintenance depuis une semaine. Modifications internes, configuration.
Du coup, l’appartement m’a paru un peu vide…
Et puis, ça faisait un moment. Depuis... l’histoire de la salle de bain. Depuis qu’elle m’a surpris nue dans une posture délicate.
— « T’en veux ? » me demande-t-elle en tendant le sachet de popcorn.
— « Oui, merci. »
Je pioche dedans, nos regards fixés sur l’écran.
— « Alors… tu aimes ? La série, je veux dire ? »
— « Non… pas terrible. »
— « C’est vrai. »
Je fais une moue, attrape la télécommande, éteins la télé, puis rallume la lumière du salon d’un clic sec. Elle cligne des yeux, surprise par l’éclat brutal. Je la regarde, un demi-sourire au coin des lèvres.
— « Bon… on fait quoi maintenant ? »
— Parle-moi de toi.
Je lève un sourcil.
— Moi ?
— Oui. T’as introduit des nouveautés ?
— Hein ? Tu parles de quoi là ?
Elle me lance un regard en coin, un peu trop amusé.
— Tu sais très bien. Ta fameuse queue de dragon.
Je ris nerveusement.
— Ah… ce truc-là. Non, non. Toujours pas.
— Et l’autre truc ? Tu l’as testé ?
— L’anus, tu veux dire ?
— Oui.
— Non plus.
Elle comprend que ma question masque autre chose. Quelque chose que je n’ose pas vraiment dire. Elle me fixe un instant, le regard un peu plus sérieux, plus doux aussi.
— « Tu ne travailles pas sur un projet en ce moment ? » dit-elle calmement. « Ça fait longtemps que tu ne m’en as pas parlé. »
— « Si, si. Je suis à fond dedans. »
— « Ah ouais ? Raconte. »
Je marque un temps d’hésitation.
— « Eh bien… c’est un androïde. »
Ses yeux s’écarquillent.
— « Ooh, trop cool ! Je peux voir ? »
— « Heu… non. Pas maintenant. »
— « Pourquoi ? »
— « Je te le montrerai quand … elle … il sera terminé. »
Elle acquiesce, mais je vois bien la petite ombre qui traverse son visage. Une pointe de tristesse, peut-être. Ou de curiosité frustrée.
La vérité, c’est que EVA n’est pas présentable. Elle est nue, installée sur l’établi, le bassin ouvert. Je suis en train d’ajuster son nouvel anus synthétique. J’ai élargi son anus d’origine, pour préparer le mécanisme pour que l’implant soit interchangeable.
Je n’ai aucune envie que Carole la voie comme ça. Pas ce soir. Pas encore.
La soirée se poursuit tranquillement. On discute de tout et de rien, on rit parfois, on laisse passer le temps. Mais, malgré l’ambiance détendue, je sens bien qu’elle reste un peu sur sa faim. Déçue.
Déçue de ne pas avoir vu mon fameux projet.
À un moment, elle se lève, ramasse ses affaires. Elle pourrait rester. Elle le sait. Mais, comme souvent, elle préfère rentrer.
Elle a mes clés, elle connaît la maison, elle sait quelle est la bienvenue, jour et nuit. Mais c’est comme ça. Elle garde toujours une part d’elle à distance.
Elle franchit le pas de la porte, puis se retourne une dernière fois.
— « J’espère que tu me montreras bientôt ton robot. »
Je suis surpris. Je ne pensais pas qu’elle y reviendrait.
— « Oui… bientôt. Promis. »
Mais dans ses yeux, je vois bien qu’elle ne me croit pas. Pas vraiment. Elle sourit, mais c’est un sourire triste, feint, juste là pour ne pas me froisser.
Heureusement, aujourd’hui, j’ai posé un jour de congé. Une journée entière rien que pour moi… et pour elle.
Mon objectif est simple : avancer à fond sur le projet, terminer l’intégration de la nouvelle pièce… et lui préparer une surprise.
À peine réveillé, je me lève et fonce vers l’atelier. Pas de café. Pas de pause. D’abord, je vérifie les logs de l’IA. Les dernières données semblent bien intégrées. Le recueil du Kamasutra que j’ai injecté hier avec ses descriptions détaillées, ses illustrations, ses schémas précis a été absorbé sans erreur.
Ajouté à ça, les milliers de photos analysées en amont… je pense qu’elle est prête.
L’excitation monte. Mes gestes deviennent plus rapides, plus assurés. Je m’approche d’EVA, toujours en position levrette sur l’établi, maintenue dans un équilibre parfait.
Je vérifie une dernière fois les mesures : l’ouverture, l’alignement, les fixations internes. Tout est conforme.
Alors, avec précaution, je procède à l’insertion du module anal.
La pièce s’emboîte sans résistance, exactement comme prévu. Le mécanisme se verrouille avec un léger clic, presque satisfaisant.
Un ajustement parfait.
Je retire les écarteurs qui maintenaient ses fesses ouvertes, remets en place la peau synthétique. Puis je bascule l’interrupteur de démarrage.
Un léger bourdonnement résonne. EVA commence son processus d’initialisation.
Pendant que les voyants passent au vert et que son système s’initialise, je m’approche une dernière fois.
Et voilà… la surprise.
Je déballe lentement la perruque toute neuve, encore protégée dans son film plastique. Un modèle choisi avec minutie : longs cheveux noirs, lisses, brillants, presque soyeux sous les doigts.
Je la pose délicatement sur son crâne, ajuste la ligne de séparation avec précision, replace quelques mèches rebelles.
Et soudain… elle change. Ce simple ajout transforme sa silhouette. Elle devient plus féminine. Plus humaine. Plus ressemblante.
Un frisson me parcourt.
Elle est là. Presque trop vraie.
EVA descend lentement de l’établi. Ses gestes sont fluides, précis, silencieux. Elle ne trébuche pas, ne marque aucune hésitation. Chaque mouvement semble parfaitement maîtrisé.
Une fois au sol, elle se redresse. Droite.
Elle se tient face à moi, immobile. Son corps nu capte la lumière de l’atelier, la renvoie sur ses courbes avec une douceur irréelle.
Elle ne dit rien. Elle attend. Et moi, je la regarde. Fasciné.
Ses paupières se soulèvent. Lentement.
— « Bonjour, Jean-Louis, souffle-t-elle d’une voix douce, chaude… presque humaine. »
Je me fige. Ce timbre. Ce grain. Je reconnais la voix. Celle que j’ai soigneusement enregistrée. Celle de Carole.
— « Oh... ta voix a bien changé. »
— « Oui… C’est pour mieux m’approcher de toi », répond-elle, un sourire à peine esquissé sur les lèvres.
Elle avance, lentement, comme si son corps avait appris le langage du désir. Ses mouvements sont fluides, mesurés, presque félins.
Son regard reste accroché au mien. Elle me frôle. Ses doigts s’insinuent entre les pans de mon pyjama, dont les boutons sont défaits depuis ce matin. Un simple effleurement. Mais suffisant pour déclencher une vague sous ma peau.
Je frissonne. Involontairement.
Ses doigts glissent le long de mon sternum. Elle explore, comme si elle savait déjà où appuyer, où s’attarder.
Je la saisis par la taille. Instinctivement. Nos corps se rapprochent.
Sa poitrine vient s’écraser doucement contre mon torse. Le contact est troublant. Presque trop réel. Je sens chaque détail, chaque courbe, chaque pression.
Un courant me traverse la colonne. Une chaleur vive se propage dans mes muscles, dans mon ventre.
Elle continue, imperturbable.
Ses paumes glissent le long de mes flancs, remontent lentement, s’arrêtent un instant près de mes épaules, comme si elle évaluait la tension de chaque muscle.
Puis, d’un geste précis, elle agrippe le tissu de mon pyjama et le défait complètement. Le vêtement glisse le long de mes bras, mes mains s’écartent, laissent faire… et le tissu tombe au sol dans un léger froissement.
Me voilà torse nu.
Face à elle.
Elle me regarde. Et dans ses yeux… je crois lire une intention. Programmée, mais puissante.
Je murmure, à mi-voix, presque pour moi-même :
— « Putain… l’algorithme fonctionne. »
Elle avance ses mains, les glisse lentement entre ma peau et l’élastique de mon bas de pyjama. Ses gestes restent mesurés, précis.
Elle pousse doucement vers le bas. Le tissu cède, glisse sur mes hanches, descend le long de mes cuisses, puis de mes jambes.
Je ne bouge pas. Je la laisse faire.
Le vêtement finit par tomber à mes pieds.
Je suis à nu. Entièrement.
Et elle, droite, calme, comme si tout cela n’était qu’une suite logique, un script parfaitement exécuté.
Puis, elle lève lentement la main et vient la poser sur mon torse, juste au niveau de mon cœur. Son geste est précis, mesuré, presque tendre. À cet endroit précis, là où tout bat plus fort.
La paume dessine de petits cercles réguliers, presque hypnotiques. Sa peau synthétique effleure la mienne dans une caresse étrange, ni chaude ni froide, mais intensément présente.
Un frisson me traverse. Mon corps réagit au contact.
Ses doigts remontent, caressent doucement mon sein, effleurent le centre. Mon téton se tend sous le toucher, comme en alerte. Je le sens durcir, s’ériger presque, attiré par l’attention qu’elle lui porte.
Puis, du bout de l’index, elle trace un cercle plus serré, s’attarde sur ce point de chair devenu sensible. À chaque effleurement, une onde électrique glisse le long de ma colonne.
Je respire plus vite.
Elle baisse les yeux.
Et ce qu’elle voit déclenche une suite logique dans sa mécanique interne.
Son autre main s’élève, vient explorer plus bas, avec le même calme, la même précision. Elle touche, mesure, entoure. Je sens le mécanisme de ses doigts s’activer doucement, ajuster sa pression à mes réactions.
Le son discret de ses moteurs accompagne la montée de mon excitation. Un murmure technique qui épouse le rythme de mes pulsations.
Je suis tendu. Présent. Chaque frôlement devient une vibration intérieure.
Elle lève les yeux vers moi.
— « Tu aimes ? » demande-t-elle.
Sa voix est douce … elle me fait penser à elle.
Pas seulement à cause du timbre. Mais à cause de cette chaleur feinte, cette manière de me parler comme si elle me connaissait. Comme si elle savait où appuyer.
Mon visage me trahit. Je ne réponds pas, mais je sais qu’elle a lu la réponse dans la crispation de ma mâchoire, dans la tension de mes épaules.
Elle esquisse un sourire. Presque ironique.
Puis, sans un mot de plus, elle se retourne lentement.
Sa silhouette s’offre à moi dans un mouvement d’une précision presque troublante. Stable. Mesurée. Parfaitement contrôlée.
Elle se cambre avec une souplesse étudiée, presque chorégraphiée. Ses mains glissent le long de ses hanches, effleurent ses flancs, puis continuent leur descente jusqu’à atteindre l’arrondi de ses fesses.
Là, ses paumes se posent. Encadrant. Soulèvent. Ecarte.
Elle s’ouvre.
Se montre. Dans ce silence suspendu, elle m’offre l’illusion d’un abandon.
Et là… je vacille.
Une invitation à franchir une limite. Mon bassin avance d’un pas. Par instinct. Je suis là, au bord. À la porte.
Et soudain, sa voix s’élève. Plus directive. Plus ferme.
Mais toujours posée. Toujours calme.
— « Pense à te lubrifier. Ce sera plus agréable. »
Je reste figé une seconde. Plus agréable pour qui ? Pour elle ? Pour moi ? Elle n’a pas de nerfs. Pas de douleur. Pas de peur. Et pourtant… quelque part, au fond, son choix de mots me déstabilise.
Je m’exécute sans un mot. Mais dans ma tête, tout hurle. Je suis en train de franchir quelque chose.
Et je ne sais plus si c’est du désir… ou une faille en moi qui vient de s’ouvrir.
Je rentre. Elle m’accueille. Mon corps s’unit au sien, sans résistance, sans heurt. Un cri m’échappe. Étouffé, presque incrédule. Je ne pensais pas que ce serait… aussi doux. Aussi bon.
Mon bassin entame ses mouvements, lentement d’abord, mesurés. Puis un peu plus fort. Plus profond.
Quelque chose se déchaîne en moi. Je perds le rythme. Je perds la retenue.
Et sa voix s’élève, entre deux souffles synthétiques, pourtant étrangement incarnés :
— « Vas-y… continue. Ne t’arrête pas. »
Ses mots ne sont qu’un déclencheur. Je m’abandonne à l’instant.
— « Oui… » soufflé entre mes dents, plus animal qu’humain.
Et elle répond. Par des gémissements simulés, mais si justes. Si bien dosés qu’ils me traversent.
— « Plus fort… Plus profond, gros porc »
J’enchaine
— « Prends ça salope »
Je jouis. Le souffle coupé. Un gémissement m’échappe. Brut, incontrôlé.
Et elle… elle m’accompagne. Par sa voix, ses sons, ses gestes, tout semble réglé pour me suivre jusqu’au bout. Elle s’adapte à mes secousses, à mes tremblements.
La tension monte, fulgurante, incontrôlable.
Et soudain, ça m’échappe. Je crie, sans réfléchir, emporté :
— « Carole… Oooh oui… Carole… «
Les mots brûlent mes lèvres.
Et dans ce nom, hurlé sans retenue, je sens toute ma confusion éclater.
Je ne suis plus avec EVA. Je suis ailleurs. Avec elle.
— « Oui… appelle-moi Carole. Je suis à toi. Entièrement. »
— « Je te prends enfin… « soufflai-je, le souffle court, le corps tendu.
— « Plus fort… Jean-Louis… plus fort… »
Et moi, emporté, perdu dans le délire, je hurle son nom.
— « Carole… Carole… oooh Carole ! »
Ma voix résonne. Un cri arraché à mes tripes. Brut.
Et soudain. Un claquement.
La porte s’ouvre à la volée.
— « Oui ? Je suis là… qu’est-ce qui se passe ? » dit une voix familière.
Je me fige. Tout s’arrête. La réalité me tombe dessus comme un coup de massue.
Carole. Debout dans l’encadrement de la porte, figée, les yeux grands ouverts.
Elle regarde. Vois. Comprends. Mon corps nu. EVA, en position. L’acte en cours. Le nom hurlé. Son visage se décompose. De stupeur. De choc.
— « Mais… c’est quoi ce bordel, Jean-Louis ?! »
Sa voix claque comme une gifle. Je reste figé. Paralysé.
EVA tourne lentement la tête vers elle. Son visage affiche ce sourire programmé, lisse, presque moqueur.
— « Bonjour Carole. »
Un frisson me traverse.
Et Carole, elle… vacille. Son regard dérape. Elle cherche un appui, quelque chose pour s’accrocher à la réalité.
Elle aperçoit son propre reflet. En EVA.
Les mêmes traits.
La même bouche.
Les mêmes yeux.
Les cheveux.
Son double.
Ses jambes fléchissent légèrement. Elle chancelle d’un pas.
— « C’est moi… « murmure-t-elle, à peine audible.
Et dans ses yeux, plus que de la colère ou de la honte… je lis la trahison. Elle respire, difficilement.
— « Tu m’as… copiée. »
Ce n’est pas une question. C’est une constatation glaciale.
Et ça fait mal. Pas parce qu’elle a été imitée. Mais parce qu’elle ne savait pas qu’elle était désirée à ce point. Parce qu’il ne l’a jamais dit. Jamais osé. Il a juste… fabriqué. Une version d’elle. Silencieuse. Soumise. Parfaite.
Elle détourne les yeux d’EVA. Les poses sur moi. Mais ce ne sont plus les mêmes. Ce ne sont plus ceux d’une amie.
Elle me regarde. Longtemps.
Et quand elle parle enfin, sa voix est basse. Pas froide. Pas criante. Mais lourde. Lente.
— « Tu ne pouvais pas me le dire ? »
Je veux répondre. Mais ma bouche reste close. Elle n’attend pas vraiment une explication. Elle continue, plus durement :
— « Tu ne pouvais pas juste... me dire que tu pensais à moi ? Que tu me voulais ? Que tu m’aimais peut-être ? »
Elle rit. Un rire sec, étranglé.
— « Non, t’as préféré ça. Me construire. En double. Silencieuse. Malléable. Une version qui t’écoute. Qui t’obéit. Qui t’offre tout ce que je te refuse, c’est ça ? »
Elle s’interrompt, lutte pour ne pas trembler. Je vois ses yeux s'embuer, mais elle ne pleure pas. Pas encore.
— « Et tu l’as faite à mon image. Pourquoi ? Tu me vois comme ça ? Un objet ? Une chose qu’on programme pour t’aimer ? Pour t’ouvrir les jambes ? Et son Q ? »
Je tente un pas vers elle. Elle recule.
— « Non. Ne t’approche pas. »
Elle baisse les yeux. Une main passe sur son front. Elle secoue la tête.
— « J’ai cru qu’on avait quelque chose, toi et moi. Peut-être pas une histoire d’amour. Mais… une confiance. Une vraie. Un lien. »
Et là, sa voix se brise à peine.
— « Mais ce que je viens de voir, Jean-Louis… ce n’est pas de l’amour. »
Elle marque une pause. Son regard vacille, mais sa voix reste droite.
— « T’es un pervers, Jean-Louis. Une trahison déguisée en fantasme. »
Puis elle se détourne. Traverse le couloir.
Elle ne claque pas la porte. Elle la referme doucement. Un geste calme, précis. Comme un point final. Comme pour dire que tout est terminé.
Et moi, je reste là. Nu. En silence. Puis le bruit sec de la porte d’entrée qui claque. Je réagis trop tard. Je cours. Je crie son prénom. Mais elle est déjà partie.
Depuis ce jour, je n’ai plus jamais eu de nouvelles.
Je n’ai pas osé la recontacter. Trop de honte. Trop de peur. Elle m’en veut, je le sais. Et je la comprends.
Les années ont passé.
J’ai réinitialisé EVA. Changer son apparence.
Une nouvelle peau synthétique, noire, lisse, plus souple. Une voix différente, plus grave, plus lente. Des cheveux tressés à l’africaine. Carole est devenue un souvenir verrouillé.
J’ai recommencé à zéro. Je lui ai réappris les gestes, les rythmes, les soupirs. J’ai tout affiné. Corrigé. Perfectionné.
Aujourd’hui, elle répond au moindre de mes désirs. Une main tendue, et elle s’offre. Un mot, et elle obéit. Je n’ai même plus besoin de parler.
Chaque nuit, je la prends.
Pas par amour. Pour combler un vide. Pour sentir quelque chose. Un contact. Une présence.
Je me suis construit une illusion si parfaite que j’en oublie ce qu’était le réel. Le vrai. L’inaccessible.
Je ne sors plus. Je ne parle plus à personne.
À quoi bon ? EVA est là. Elle suffit. Elle me console. Me touche. Me regarde comme si j’étais quelqu’un de valable. Quelqu’un d’aimé.
Et parfois, dans le noir, quand le sommeil tarde à venir, je murmure encore son nom.
Pas EVA.
Carole.

 

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